Oui je sais c'est déchirant mais si beau. Lisez la lettre et faites un grand sourire.
Tant tant tant d'amour dans ces mots, belle eau vive d'Anouk , cette lettre magnifique, d'une force incroyable, d'un amour immense, qui nous arrache le coeur au passage. Tu écris des mots comme on chante la vie,même quand ça chante faux c'est une illumination, tu ramasses les morceaux de coeur tout cassés et tu en fais une force prête à vaincre. Bon dieu que je t'admire et que je t'aime que je t'aime que je t'aime.... Ma puce, Anouk, mon eau vive... Je t'aime et j'aime Lhassa de tout mon coeur.
Di.
ma fille, c’est ta fête. tu as deux ans.
ta fête ça veut dire ton anniversaire.
ton anniversaire ça veut dire le jour où tu es née.
et il faut que je te dise que je suis désolée.
(désolée? le mot est faible.)
désolée que tu ne puisses pas jouer, marcher, courir, découvrir la vie comme tous les enfants de ton âge.
désolée que tu ne répondes pas aux becs et aux câlins que ton frère te donne. que tu ne tiennes pas tout à fait ta tête, que tu ne sois pas capable de contrôler tes bras, tes jambes, tes mouvements. désolée que ton développement cognitif soit nul. que tu ne puisses pas voir, que tu n’aies pas de contact visuel avec nous, que tu ne nous reconnaisses pas.
désolée de te savoir emprisonnée dans un corps quasi-inerte, limitée par un cerveau qui te rapproche davantage de la méduse que de l’être humain(!). désolée que ta dépendance totale à autrui te rende si vulnérable. désolée de penser que tu ne pourras ni apprendre à parler, ni apprendre à lire.
Lhassa, j’arrête, il serait trop long de continuer cette liste.
il y a trop de choses que tu ne pourras jamais faire.
j’aurais tellement voulu une autre vie pour toi.
je veux croire que ta vie est quand même douce.
je veux croire que tu ne sais pas ce que tu manques.
je veux croire que cette vulnérabilité appelle l’amour… et rien d’autre.
et je te souhaite l’amour pur, vrai, inconditionnel, tous les jours, sans arrêt.
ta naissance et tes premiers mois de vie restent gravés en moi comme des moments de bonheur sans égal.
sentir ton petit corps tout chaud arriver sur mon ventre – tout juste après en être sorti. te voir prendre le sein comme une championne.
observer tes petites oreilles situées juste à la bonne hauteur, tes petits doigts parfaits, tes grands orteils minces (les orteils de ton père!), tes longs cils fournis et foncés, ta petite bouche finement dessinée, tes petits pieds dodus, tes yeux noirs pénétrants.
admirer ta perfection, sans me lasser… jour et nuit. allaiter avec une joie débridée. manquer de sommeil sans me fatiguer.
ne pas savoir. ne pas savoir ce qui nous attendait.
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et puis il y a eu l’épisode du concours de photos. je feuillette un magazine destiné aux parents de jeunes enfants, vous savez le genre où on vous propose des idées pour mieux stimuler vos poupons à coup de yoga-maman-bébé, aquaforme en poussette et autres éveil musical en peau en peau. on annonce un concours de photos, le gagnant figurera en page couverture du prochain numéro. il y a des exemples de photos soumises l’année précédente : des bouilles de bébés de toutes les couleurs, des joufflus, des menus, des souriants, des boudeurs, des frisés, des crânes nus. et soudain, ce qui me frappe, c’est leur regard. il y a quelque chose qui vibre dedans. un éclat, une intention. il y a un contact – ils regardent la caméra… c’est-à-dire le parent, forcément. leur regard vise droit devant. il communique quelque chose. et ce quelque chose traverse la lentille. j’ai l’impression, très diffuse encore, qu’il manque quelque chose au regard de ma fille. quelque chose comme… l’intention de communiquer ? il n’y a pas dans son œil cet éclat vibrant que je perçois chez les autres. mais je me dis qu’elle est encore petite, que ça viendra, qu’elle a bien le droit d’être lente et que je m’en fous. chacun son rythme. je ne me doutais pas encore de l’ampleur de la catastrophe dans ton cerveau, ma méduse.
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depuis quelques semaines, tu réagis un peu, parfois, aux chatouilles. je suis ravie, voire limite hystérique. tu ne ris pas aux éclats, tu émets un tout petit rire lent, c’est vrai on dirait qu’il s’agit d’un son au ralenti, qui ne dure pas longtemps, à peine une seconde ou deux. mais il y a tellement de soleil dans cette petite cascade que je crierais de joie chaque fois.
bonne fête, mon amour.
je t’aime à la folie.
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Notre Lhassa ne sera jamais propre, ne marchera jamais, ses yeux voient, mais ce qu'ils voient ne se rend pas au cerveau, elle est donc aveugle tout en ayant des yeux vifs et magnifiques.
